Le Projet

Le projet porte essentiellement sur deux problèmes environnementaux majeurs :

  • l’élimination incontrôlée des déchets agricoles (p. ex. déchets d’oléiculture, de viniculture, d’élevage), ainsi que leur usage incontrôlé pour l’irrigation ou la fertilisation des cultures
  • l’usage excessif d’éléments nutritifs et de ressources naturelles (eau, phosphates minéraux pour la production d’engrais chimiques)

et se donne pour objectifs :

  • de promouvoir le recyclage d’éléments nutritifs et d’eau par le biais de l’utilisation durable des déchets agricoles traités (ou éventuellement non traités)
  • d’étudier des technologies modernes de traitement des déchets organiques et des méthodologies intégrées d’application dans le secteur agricole, permettant d’assurer le recyclage durable des éléments nutritifs et des effluents des déchets, en  tenant compte:
    • des besoins en eau et en nutriments de cultures représentatives de la Méditerranée, particulièrement exigeantes en consommation d’eau
    • des valeurs des paramètres du sol permettant l’élimination de ces déchets et
    • de la connaissance accumulée à ce jour en matière d’utilisation durable des déchets agricoles dans la production agricole.

La production de déchets agricoles sécurisés et de haute qualité, ainsi que la protection de l’environnement suscitent actuellement un vif intérêt scientifique, politique et social. Dans les pays développés, on observe une demande croissante d’amélioration de la qualité des produits par rapport à la quantité, par le biais de pratiques assurant des économies d’eau et répondant à l’exigence accrue de respect et de préservation de la qualité de l’environnement ; ceci est lié au fait que les marchés actuels des produits agricoles sont régis au premier chef par les choix opérés par les consommateurs, plutôt que par leurs besoins.

Les systèmes modernes d’agriculture intensive sont caractérisés par l’utilisation de quantités importantes d’eau et d’engrais. Les éléments nutritifs sont généralement apportés au sol  par le système d’irrigation, juste après la plantation, afin d’assurer une production de végétaux sains et résistants. Ces pratiques se traduisent souvent par une utilisation d’eau deux fois plus importante et par un recours excessif aux engrais (de plus de 20%-30%), par rapport aux quantités réellement requises. Outre le coût de production élevé et la faible compétitivité des produits, ces pratiques présentent des risques pour l’environnement tels la consommation d’eau inutile, le risque de désertification grandissant à cause de la salinité accrue du sol, la pollution/dégradation du sol, la pollution des eaux par infiltration des nutriments en excès et la réduction de la biodiversité des sols. Un grand nombre de ces effets ont déjà été constatés dans le sud de l’Europe, où des surfaces agricoles importantes sont touchées par la désertification ou risquent de l’être dans un avenir proche, principalement à cause de l’agriculture intensive, des conditions climatiques particulières, des incendies et de la pénurie d’eau.

L’adoption de pratiques ayant une faible incidence sur l’environnement, la mise en œuvre de technologies innovantes et spécifiques à chaque cas, capables de prévenir ou de minimiser  le recours aux ressources naturelles, tout en assurant le rendement des cultures afin de répondre aux demandes du marché, pourraient contribuer au développement économique local/régional, tout en préservant et améliorant la qualité de l’environnement.

Production de légumes, de céréales et de plantes ornementales en Europe

L’agriculture aura été et reste encore aujourd’hui un secteur économique majeur sur le pourtour méditerranéen. La production totale de fruits et légumes en Europe s’élève à près de 115 millions de tonnes par an (production qui la classe au troisième rang mondial, derrière l’Asie (700 millions de tonnes) et l’Amérique latine et Caraïbes (127 millions de tonnes).

En Europe, le premier pays producteur de fruits est l’Espagne (32,3%), suivie par l’Italie (30,4%), la France (13,3%) et la Grèce (9,7%). Quant à la production légumière, l’Italie (23,9%) est le plus grand producteur, suivie par l’Espagne (20,9%) et la France (14,6%). Pour ce qui est des céréales, l’Espagne et l’Italie figurent parmi les 5 plus grands producteurs européens (France, Allemagne, Royaume-Uni, Espagne et Italie), alors que, selon la FAO, les céréales occupent en Espagne 44,51% des terres agricoles. Par ailleurs, 44% de la production mondiale de plantes ornementales et de fleurs est issue de l’Union européenne, l’Italie occupant la deuxième place (15% de la production totale européenne), après les Pays-Bas (32%).

Déchets agricoles

Au sens strict du terme, on entend par « déchets agricoles » les déchets produits par les pratiques agricoles courantes (p.ex. résidus végétaux, élagages). La composition de ces matériaux n’est pas constante ; elle se caractérise en règle générale par un ratio élevé C/N carbone sur azote), par une grande variabilité de leur teneur en eau, liée à la phase de croissance des cultures et à la période de récolte, ainsi que par une charge élevée en matières organiques, et une charge minérale dépendant de la nature des résidus et de leur composition.

Le degré de biodégradation de ces résidus dépend de leur teneur en composantes aisément biodégradables  (p.ex. sucres, cellulose, hémicellulose) et en composantes plus résistantes, tels la lignine et les polyphénols. La présence par ailleurs d’agents pathogènes et de pesticides résiduels est fort probable, ce qui devrait être pris en compte lors du traitement et de la gestion de ces déchets.

Une des caractéristiques des déchets agricoles, qui rend souvent difficile leur gestion optimale, est liée au fait qu’ils sont produits en grande quantité pendant des périodes précises de l’année (production saisonnière). Il en résulte un besoin urgent de les éloigner du site de production pour éviter la survenue de problèmes lors des travaux et de la production agricoles, prévenir la transmission de maladies aux plantations, et minimiser le risque d’incendies.

Au sens large du terme, les «déchets agricoles» incluent également les sous-produits d’origine végétale générés par les industries agroalimentaires (p.ex. production d’huile d’olive, de vin, de jus, traitement de fruits secs, etc.), ainsi que divers types de résidus (p.ex. compost produit avec des résidus de champignonnières et des substrats utilisés en cultures en serre). Cette catégorie inclut également les effluents et les déchets solides issus de l’élevage, de l’aviculture, des déchets liquides générés lors du lavage et de l’épluchage de fruits et légumes, de processus de blanchiment, etc.

L’industrie agricole génère des effluents et des résidus solides à charge organique élevée. Caractérisée par une forte saisonnalité, cette filière industrielle produit une grande quantité de déchets et nécessite ainsi la mise au point de technologies appropriées, capables d’assurer le transfert rapide des déchets du lieu de production vers le site de collecte, de traitement et d’élimination finale, en minimisant les risques. Outre la complexité due au caractère saisonnier de la production ces déchets, leur gestion devient encore plus difficile à cause de leur composition variable, étant donné que leurs caractéristiques quantitatives et qualitatives sont conditionnées par les pratiques appliquées lors de production primaire et secondaire, les conditions climatiques et les conditions locales spécifiques.

L’impact environnemental de l’élimination incontrôlée de ce type de déchets est considérable ;  il faut, dès lors, pour assurer la pérennité des régions agricoles, développer des stratégies assurant une gestion durable. L’élimination incontrôlée peut entraîner la pollution du sol et des systèmes hydriques (eaux de surface ou souterraines), et libérer dans l’atmosphère des gaz à effet de serre tels le méthane, l’ammoniac et le dioxyde de carbone. La présence de ces gaz dans les eaux de surface et souterraines entraîne une forte augmentation de la charge organique de ces systèmes hydriques, causant une réduction considérable de l’oxygène dissous dans l’eau, et, partant, l’asphyxie des organismes aquatiques, la production et l’émission de biogaz et l’eutrophisation. Lorsque la teneur des effluents est importante en solides, il y a un risque considérable de formation de sédiments au fond des capteurs d’eau de surface, où des processus anaérobiques entraînent la production de substances toxiques pour les organismes (p.ex. le sulfure). Par ailleurs, les résidus de pesticides et d’autres produits agrochimiques largement utilisés dans l’agriculture constituent une source supplémentaire de pollution.

L’élimination des déchets par retour au sol provoque généralement une hausse de la teneur en azote organique, qui se minéralisera et s’infiltrera par lixiviation, pour sa plus grande partie, vers les couches inférieures, menaçant d’accroître la teneur de sols et des eaux en nitrates.

Tous les ans, les pays méditerranéens produisent des quantités importantes de déchets agricoles. On estime, par exemple, que la culture de céréales entraîne la production de près de 5,5 – 11,0 tonnes de déchets secs par hectare, que l’élagage des arbres en produit 1,3 à 3,0 tonnes par hectare, alors que la production annuelle moyenne de déchets d’huileries, ayant lieu entre les mois de novembre et mars chaque année, varie entre 10×106 et 12×106 m3. Ces exemples donnent une idée des énormes quantités de déchets agricoles produits tous les ans et confirment le besoin de développer des stratégies de gestion durable incluant le recyclage et la réutilisation de ces déchets.

Recyclage et réutilisation des déchets agricoles

La pénurie d’eau et la sensibilisation grandissante en matière d’environnement ont conduit à la réutilisation d’effluents agricoles pour l’irrigation des cultures. Les pays méditerranéens étant caractérisés par un climat sec ou même aride, avec des précipitations principalement saisonnières et inégalement réparties, ont des besoins accrus en eau potable et en eau d’irrigation induisant une forte baisse des ressources d’eau disponibles. Par conséquent, la réutilisation des eaux usées, notamment en agriculture, figure de plus en plus dans les projets de gestion intégrée des ressources hydriques.

Il importe donc de se doter de lignes directrices pour mettre au point et appliquer sans risque des procédés de réutilisation des déchets à des fins d’irrigation, susceptibles de promouvoir le développement de méthodes de production optimales, en sus de la préservation de la qualité de l’environnement. De fait, il s’avère indispensable d’adopter une stratégie commune de traitement et de réutilisation des déchets en Méditerranée. L’exploitation efficace de l’eau pluviale et la réutilisation des effluents seront bientôt au cœur du débat conduisant à la prise de décisions pour le Sud de l’Europe, comme cela a été le cas en Afrique du Nord et au Moyen Orient.

La préservation des sols, des eaux et de l’atmosphère nécessite une bonne gestion des déchets organiques issus de l’activité agricole. La réutilisation des déchets agricoles dans l’agriculture est un procédé traditionnel de valorisation de ces déchets ayant déjà fait ses preuves.  Appliqué de manière appropriée, ce procédé constitue une bonne méthode de gestion des déchets, induisant également des bénéfices considérables pour les agriculteurs.

Les déchets agricoles étant riches en matières organiques et en substances minérales macro et micro nutritives, leur recyclage en agriculture permettrait de contribuer :

  • à la réduction significative du volume des déchets éliminés dans l’environnement
  • au recyclage des oligo-éléments et de l’eau en agriculture, ce qui réduirait le coût de production des produits et les rendrait plus compétitifs sur les marchés européens et internationaux.
  • à la protection des sources renouvelables et non renouvelables (sols, systèmes hydriques), grâce à la réduction du volume des déchets éliminés et au recyclage de certains éléments.

Néanmoins, lors de l’étude d’un procédé d’élimination des déchets au sol (p.ex. à des fins d’irrigation), il convient d’examiner non seulement la charge organique et la teneur en substances toxiques (polyphénols, résidus de pesticides), mais également la charge minérale, puisque, comme il a été démontré, celle-ci peut provoquer une grave dégradation du sol même si elle ne menace pas directement la santé des hommes et des animaux.  Ainsi, les concentrations élevées de K, Cl, NO3, SO42-, P, Mg, Fe, Zn et d’autres substances inorganiques dans les déchets éliminés au sol provoquent une variation importante de la teneur de ces substances dans le sol, ainsi que des  propriétés physico-chimiques (p.ex. conductivité électrique, pH, Κ, Ca, Mg disponibles, etc.) du sol.1

Ces données ont également été confirmées par les résultats du projet LIFE 07 ENV/GR/000280 sur les «Stratégies d’amélioration et de préservation de la qualité du sol suite à l’élimination des déchets d’huileries dans la région méditerranéenne – PROSODOL” (http://www.prosodol.gr). Il a ainsi été constaté que les propriétés du sol sont fortement affectées par l’élimination directe au sol de déchets d’huileries non traités et dans des bassins de vaporisation en terre mal protégés (réservoirs de vaporisation).

Les sols épandés avec des déchets de huilerie sont enrichis en matières organiques, en nutriments minéraux et en polyphénols1,2. Bien que la matière organique et les éléments nutritifs soient susceptibles d’accroître la fertilité du sol, on peut craindre de graves problèmes de dégradation de la qualité du sol, étant donné que la concentration des éléments minéraux croît considérablement, dépassant la plupart du temps les valeurs limites réglementaires.

Par ailleurs, l’adjonction de la matière organique des déchets -généralement mal stabilisée-, bien qu’induisant une augmentation de la charge organique globale du sol, pourrait engendrer une série d’effets préjudiciables autant pour les propriétés du sol, que pour la croissance des plantations, tels l’augmentation du degré de minéralisation du carbone organique dans le sol, des conditions favorables au déclenchement de processus anaérobiques et la formation de substances phytotoxiques 3.4.

Il y a eu dans le passé des études et des projets dont l’objectif était la mise au point de technologies de traitement des déchets agricoles, dont l’intérêt portait principalement sur la réduction de la charge organique (COD, BOD) et la réduction ou la récupération de substances précieuses contenues dans ces déchets, souvent toxiques pour l’environnement, tels les polyphénols des déchets d’huilerie. Cependant, malgré l’élaboration de technologies appropriées, reste encore à identifier clairement la pièce manquante du puzzle, à savoir le degré de contribution de la charge minérale des déchets dans l’application efficace de ces technologies dans le secteur agricole, ainsi que dans la préservation de la qualité de l’environnement.

Bien que l’impact des déchets traités sur la croissance et le rendement de certaines espèces végétales ait été étudié lors du développement de plusieurs technologies, il convient de souligner que, afin d’utiliser sans risque des déchets traités dans l’agriculture, il faudrait élaborer des pratiques agricoles spécifiques après étude détaillée des paramètres suivants :

  • Impact des déchets sur la croissance des plantes et sur les propriétés quantitatives et qualitatives de la production
  • Besoins des plantes cultivées en eau et en éléments nutritifs
  • Impact des déchets sur les propriétés du sol
  • Conditions pédo-climatiques dominantes
  • Conditions environnementales

Le projet WasteReuse a pour but principal de développer des pratiques agricoles alternatives spécifiques, impliquant l’utilisation de déchets agricoles traités (ou éventuellement non traités), en tenant compte de tous les facteurs précités qui affectent non seulement la production agricole, mais également la qualité du sol, des systèmes hydriques et de l’atmosphère.

Bibliographie

1. Kavvadias, V., Doula, M., Komnitsas, K., Liakopoulou, N. Elimination des déchets d’huilerie dans des bassins d’évaporation : impacts sur les propriétés du sol, J. Hazardous Mater. 182, (2010), 144-155.

2. Doula M., Kavvadias, V. Theocharopoulos S., Kouloumbis P., Ikonomou, D., Arapoglou D. Impacts environnementaux sur la qualité des sols causés par l’élimination des déchets d’huilerie. Etude de cas : une municipalité en Crète, Grèce. Actes du colloque AMIREG 2009 : Progrès dans la gestion des ressources et des déchets dangereux vers un développement durable, 3ème Conférence Internationale, 7-7 septembre, Athènes, Grèce, pp. 84

3. Cereti, C.F., Rossini, F., Federici, F., Quaratino, D., Vassilev, N., Fenice, M. Réutilisation des déchets d’huilerie traités aux agents antimicrobiens pour la fertilisation des cultures de blé (Triticum durum Desf.). Biosour. Technol. 91 (2004), 135-140.

4. Komilis, D.P. Karatzas, E., Halvadakis, C.P. L’impact des effluents d’huilerie sur la germination des graines selon divers techniques de pré-traitement. J. Environ. Manag. 74 (2005), 339-348.